Énerver : Dictionnaire de l'Académie française ( 1718 )
Au fil des siècles, le sens de certains mots évolue et prend souvent de nouvelles teintes ou même de nouvelles couleurs selon les caprices de l'usage. Nous avons ici un mot, "énerver", que tous connaissent, dont le sens d'aujourd'hui est complètement différent de celui du passé. Anciennement le mot "énerver" signifiait affaiblir par le vin, la débauche...tandis qu'aujourd'hui, "énerver" signifie, comme chacun le sait : " (...) susciter la nervosité, l'irritation de; agacer, exciter. (...)" . Voyez, au centre de la photo, la définition du Petit Larousse 2010 :
Anciennement, le mot "énerver" voulait plutôt dire , comme le montre la photo qui coiffe cet article : "...affoiblir les nerfs par la desbauche, ou par quelque autre cause. Le trop grand usage du vin est capable d'enerver un homme. ses débausches l'ont enervé (...) " ( Dictionnaire de l'Académie française, deuxième édition, 1718 ). Je transcris ici le texte avec l'orthographe du temps; on remarque aussi que dans ses exemples l'Académie ne met pas de majuscule après un point. On retrouve le même sens dans les autres dictionnaires de l'époque. Au dix-neuvième siècle, en 1847, définition semblable dans le "Nouveau dictionnaire de la langue française" de Noël et Chapsal :
Vous aurez noté que dans les anciens dictionnaires, souvent sexistes, le mot "efféminer" porte un sens de faiblesse tandis qu'aujourd'hui "efféminer", c'est, selon le Petit Larousse 2010 en tout cas : "Rendre semblable à une femme dans son aspect, ses manières". L'idée de faiblesse n'y est plus, et c'est très bien ainsi finalement. Je note en passant que pendant la guerre du Vietnam les communistes confiaient souvent aux femmes, sur la piste Hô Chi Minh, l'acheminement des armes, parce que les femmes étaient plus endurantes que les hommes. Fin de la parenthèse. Je donne un dernier exemple du sens oublié du mot "énerver", cette fois je prends la définition de la septième édition du Dictionnaire de l'Académie française (1878) :
On commence à voir apparaître le sens moderne à la fin de la définition qu'on trouve dans la huitième édition du Dictionnaire de l'Académie ( 1932-1935 ). On y lit, en bas de photo que "Énerver signifie aussi agacer en produisant une irritation nerveuse. Vous m'énervez avec votre phonographe..."
Donc. Anciennement, "énerver" signifiait affaiblir par la débauche, le vin ou par quelque autre cause. Aujourd'hui "énerver" signifie un agacement qui nous jette dans une agitation nerveuse. Le signification des mots change parfois, mais prudence: le vin, la volupté et la débauche ont les mêmes effets aujourd'hui que dans les siècles passés !
Ajout ( 31 mars ). Je me hasarde dans une explication sur le glissement de sens du mot "énerver". É-nerver, c'est, finalement, enlever les nerfs, d'où un affaiblissement, un manque de forces...Mais, comme le souligne l'Académie à la fin de la définition qu'on voit en haut, "énerver" c'est aussi "...priver de l'usage des nerfs en brûlant ou en coupant les tendons des muscles des jarrets" . Cette pratique barbare était sans doute "énervante" pour le pauvre supplicié.
7 commentaires:
Pas fréquent qu'un mot prenne un sens complètement opposé avec le temps. Belle trouvaille !
Je vais essayer de lui trouver un camarade de classe. Pierre
Bonjour Pierre,
Le sens ancien d'énerver, me semble encore plein de logique, si nos nerfs sont diminués, altérés, usées ou même détruits, nous ne pouvons que devenir plus faible, plus incapable, nos muscles ne pouvant alors que difficilement entrer en action....
Aujourd'hui, nous ne retenons de l'énervement que la sensation superficielle première...mais je trouve que les conséquences sont encore les mêmes.....l'énervé est inefficace.....et son jugement aussi.
Le capitalisme a donc avantage de bien énerver ses contemporains, ils en seront plus facile à exploiter....
Belle journée, et merci Pierre, pour ces belles occasions de réfléxions....si rares.
Michel Zimmermann
Artisan
Bonjour Pierre,
Si vous trouviez un autre mot dont le sens a vraiment basculé, comme "énerver", je lui consacrerai sûrement un article.
Je formulerai bientôt une hypothèse sur ce qui a pu provoquer le changement de sens du mot "énerver".
Bonjour Michel,
Oui, malheureusement, certains contemporains sont énervés et ne sont que les jouets passifs du commerce, des modes ou des campagnes publicitaires. La lecture des grands auteurs ( La Fontaine, Maupassant, Hugo, Camus...) est un bon remède qui donne du nerf. En fait il faut savoir réfléchir pour bien traverser la vie. Au plaisir de vous lire. Pierre B.
Bonjour M. Bouillon,
Ce matin, en consultant le site d'un ébéniste, j'ai trouvé cette exprression sous une illustration:
"COMPTOIR D'ENERVE DE RECEPTION". Je n'ai jamais vu le mot "ENERVE" (avec ou sans accent aigu? il est en majucules.) dans le sens d'une pièce de mobilier. (Cf.: "http://www.virtuomeuble.com/galerie_ameublement_personnalise_ebenisterie_amenagement_collection_contemporain_decoration_meubles.php?idGal=14", dernière illustration.)
Je suis allé chez mon voisin libraire. Nous avons fouillé dans des vieux dictionnaires pour savoir si c'est un usage ancien, spécialisé en ébénisterie ou erronné du terme ou simplement une erreur d'écriture.
En jasant, le libraire m'a parlé de votre blogue. J'y ai accédé dès que je suis arrivé à la maison et je vois que vous avez une rubrique sur le mot "énerver".
Pouvez-vous me dire si le terme "ENERVE" est correct dans l'exemple que je vous présente?
Merci,
Luc Girard
Je vous reviendrai bientôt sur ce sujet. Je dois mener une recherche.
Cordialement
Pierre B.
Bonjour Luc,
J'ai la réponse sur le "comptoir d'enerve (sic) de réception".
J'ai appelé l'entreprise. C'est une erreur de leur part. Le mot "enerve" n'a pas d'affaire là.
La personne à la saisie était peut-être un peu énervée ce matin-là ! :)
Ils corrigeront.
J'avais fait une recherche dans les lexiques d'ébénisterie et je ne trouvais pas ce mot.
J'ai vu cependant, dans mon Bescherelle ( 1887, tome 2, page 1395) ce mot :
ÉNERVE : adj. 2 g. (rad. nerf). Bot. Se dit des feuilles sans nervures, comme celles de la tulipe.
Je l'ai vu aussi dans mon Nouveau Larousse Illustré (1897-1904, tome 4, page 168 ):
Énerve ( du lat. enervis, sans nerf) adj. Qui est sans nervures: Feuilles énerves.
Je m'apprêtais donc à émettre l'hypothèse que le fameux comptoir n'avait pas de nervures...
Mais la réponse que me fait ce matin l'entreprise met fin à cette spéculation !
Nous aurons au moins appris un nouveau mot.
Cordialement
Pierre Bouillon
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